Partenaire média de l'UMB de 2010 à 2019, Kozoom a largement contribué à développer et faire connaître les compétitions mondiales en les co-finançant, les produisant et les diffusant, sur le web ou à la télévision. Depuis son clash en 2020 avec son associé coréen dont la société est désormais connue sous le nom de 5&6, le Président de Kozoom Group, Xavier Carrer n'avait jamais pris la parole. Il partage aujourd'hui son point de vue sur la crise que doit surmonter l'UMB.
Jérémie Picart : Quel est votre avis sur la situation de l’UMB avec le départ de Dani Sanchez et d’autres joueurs ?
Xavier Carrer : Suis-je bien placé pour critiquer un système que Kozoom a contribué à mettre en place ? Peut-être pas mais en tout cas, on ne peut pas me reprocher de ne pas savoir de quoi je parle. Si Kozoom a pris ses distances il y a 3 ans avec son partenaire coréen et de facto l’UMB, c’est bien parce qu’on était dans une impasse. Relisez le "statement" que l’on a publié à l’époque où j’expliquais que nous n’étions plus disposés à cofinancer un conflit avec la PBA et que notre partenaire coréen nous conduisait dans une impasse.
JP : Mais de quelle impasse s’agit-il ?
XC : Avec cette nouvelle vague de départs vers la PBA, l’UMB est maintenant au pied du mur. Le problème pour le Président Barki, c’est qu’il a mis tous ses oeufs dans le même panier : droits medias, y compris ceux des tournois sur invitations, droits d’organisation hors coupes du monde et championnats du monde, sponsoring des billes et des draps… Tout a été acheté par la société 5&6 ou ses partenaires pour lesquels elle distribue les produits. Donc quelle est la marge de manoeuvre pour l’UMB si son partenaire coréen refuse tout compromis ? Elle est nulle car l’UMB n’a pas d’autre choix que de suivre les instructions de celui qui la finance. On en est là. Le système est sclérosé et il risque d’impacter les fédérations si leurs meilleurs joueurs partent et sont exclus des compétitions traditionnelles.
JP : Donc l’UMB n’a plus aucune marge de manoeuvre ?
XC : Evidemment qu’il existe d’autres options. Avez vous vu ce qui se passe en ce moment dans le billard américain ? La WPA travaille avec plusieurs promoteurs, notamment Matchroom et Predator Pro Billiard Series qui enrichissent le calendrier avec de nombreux tournois et un prize money qui ne cesse de progresser. Tout le monde y gagne. Les joueurs sont libres de jouer tous ces tournois pro et la principale mission de la WPA consiste à gérer au mieux le calendrier pour éviter les conflits de dates. L’UMB devrait s’en inspirer.
JP : Vous semblez avoir radicalement changé d’avis depuis que Kozoom s’est mis en retrait de l’UMB…
XC : En France on a une expression populaire qui dit: il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis. Mais plus sérieusement, mon opinion a changé parce que la situation a changé. De 2017 à 2019, nous avions signé un contrat unique avec une grande chaîne de tv coréenne MBC Sports+ pour diffuser le circuit UMB. Pour conserver les meilleurs joueurs au sein de l’UMB, nous avons financé à perte de nouveaux tournois (3CC, Survival et Continental Cup) garantissant encore plus de prize money aux 20 premiers classés de l’UMB. A cette époque, je me disais qu’il fallait le faire pour être en mesure de signer un meilleur contrat tv ou au moins préserver un rapport de force en cas de négociation avec la PBA. A l’arrivée, nous n’avons renouvelé aucun contrat tv et mon associé a refusé tout accord avec la PBA. Les joueurs sont restés, eux, et le Covid n’a permis que de reporter ce que je pensais inéluctable il y a trois ans.
William Oh et Xavier Carrer dans les studios de MBC en 2016
JP : Mais pourquoi les joueurs font le choix de la PBA maintenant ?
XC : Vous resteriez, vous, si on vous garantissait le double ou le triple de votre salaire ? Soyons sérieux… Ce sont des professionnels. Ils ont été loyaux et nous ont fait confiance il y a 5 ans. Maintenant, ils ont de bonnes raisons de douter quand le prize money du dernier tournoi 5&6 en Corée n’a pas encore été payé près de 3 mois après l’événement, que celui des Coupes du monde n’a pas évolué d’un euro en 5 ans. Au même moment, leur collègue Cho Jae Ho vient de gagner 135 000€ sur le tournoi final PBA ! Les joueurs avaient de bonnes raisons de douter au lancement de la PBA mais après cinq ans, elle a survécu au Covid, à sa séparation de Bravo & New, elle paye de plus en plus de Prize money et son calendrier est solide.
JP : En fait, vous justifiez aujourd’hui le choix de Dani Sanchez alors que vous n’étiez pas aussi compréhensif pour Fred Caudron !
XC : Là encore, essayez de comprendre: la situation était différente en 2018. Lorsque Fred Caudron a choisi la PBA, il venait de remporter près de 300000€ de prize money sur sa saison UMB. Certes, ce montant a été bien aidé par l’apport exceptionnel du Mc Creery mais c’était du jamais vu. Alors que l’on perdait cette année là de l’argent sur nos tournois où il empochait 50000$, il aurait fallu le remercier de choisir la PBA et de faire du lobbying auprès des joueurs dans notre dos ? Non je ne l’ai pas remercié pour ça même si je comprends très bien qu’avec les montants qu’on lui offrait, beaucoup d'autres joueurs auraient sans doute fait la même chose. Mais ça c’est du passé. Aujourd’hui, je pense qu’avec les nouveaux venus à la PBA, Fred Caudron va retrouver son meilleur jeu. Un champion de son calibre a besoin de challenges pour donner le meilleur. Aucun amoureux du billard ne pourrait s’en plaindre.
JP : Comment vous voyez les choses à l’avenir ?
XC : Je ne crois pas à une transition brutale qui consisterait à classer les pros d’un côté et les amateurs de l’autre. Je comprends que ce soit le but de la PBA à terme mais ce n’est pas la meilleure façon d’entamer aujourd’hui les discussions avec les fédérations. Il faut que les joueurs puissent choisir le meilleur des deux mondes et ça passe par un calendrier commun sans menace de sanctions. Le temps ne jouant pas en faveur de l’UMB avec un top 10 vieillissant, si elle campe sur ses positions, la messe est dite et son circuit ressemblera à terme au radeau de la méduse ou à des compétitions de seconde division. Connaissant bien le patron de 5&6 et sa capacité à trouver des compromis, je suis plutôt pessimiste pour l’UMB, à moins que la réalité économique rattrape 5&6 et que Farouk Barki retrouve sa liberté d’action pour dialoguer avec la PBA. Je l’ai vu à Las Vegas et il a l’air en pleine forme. C’est tant mieux car il va lui falloir beaucoup d’énergie pour surmonter cette crise. En cas d’échec, j’ai bien peur que ce soit le mandat de trop pour lui.
JP : Qu’en est-il de Kozoom ces dernières années ?
XC : Kozoom a survécu au Covid comme de très nombreuses autres sociétés françaises, grâce aux aides et aux prêts garantis par l’Etat que nous remboursons maintenant. Nous avons même pu construire à Andernos notre propre bâtiment avec un studio vidéo qui accueillera cette année d’autres événements de billard. Notre nouveau site web est finalement en ligne. Il sera complété prochainement par un forum. Nous avons aussi lancé une chaîne tv en streaming non stop. Certes nous ne couvrons plus les circuits UMB et EPBF mais nous produisons et diffusons tous les événements de billard américain PBS et Carambole CEB. Cela nous occupe pas mal en attendant de saisir de nouvelles opportunités.
JP : Pourquoi vous n’avez pas renouvelé la 3-Cushion Kozoom Challenge Cup cette année ?
XC : On a eu besoin de faire une pause pour souffler mais il n’y a pas que ça : pour être honnête, j’ai été assez déçu par le peu de spectateurs sur les phases finales en présentiel. En 2021, on pouvait encore mettre ça sur le compte du Covid. Pas en 2022. Les fans de billard sont de plus en plus difficiles à bouger. On doit aussi améliorer notre promotion locale. J’ai l’impression que nos 1500 spectateurs aux championnats du monde à Bordeaux, c’était une autre époque… Mais ne vous inquiétez pas, d’autres projets murissent et nos partenaires sont toujours prêts à nous faire confiance.
Le studio Kozoom accueillait les phases qualificatives de la Challenge Cup 2022
à Andernos-les-Bains (France)
