Le joueur de billard espagnol Raúl Cuenca, nouveau Champion d’Espagne au Cadre 47/2 depuis dimanche dernier, vit dans un monde d'extrêmes en cette année de crise de COVID-19. Le multiple champion d'Espagne et ancien Champion d’Europe travaille en tant qu’infirmier dans un hôpital non loin de Valence, en première ligne de la pandémie : "Nous nous battons pour la vie et la santé des gens, la crise du COVID a radicalement changé notre vie à tous", déclare l'Espagnol de 40 ans qui passe de longues journées et de longues nuits à l'hôpital. Pourtant, Raúl Cuenca a pu se concentrer pleinement cette semaine sur le championnat d'Espagne 47/2 où il a battu son éternel rival et meilleur ami Esteve Mata en finale.
Raúl Cuenca n'est pas l'un des grands joueurs espagnols de 3 Bandes, il est depuis de nombreuses années un spécialiste des jeux de séries : le Cadre et la Bande mais aussi le 3 Bandes où il s’approche du Top 10 national. Il a remporté vingt-neuf titres espagnols dans diverses disciplines, treize médailles internationales et a été le meilleur joueur européen au cadre 71/2 ces trois dernières années, le point culminant de sa carrière de joueur de billard jusqu'à présent.
En cette année où le billard et la vie tout court ont été bouleversés par le COVID-19, Raúl a été le meilleur Espagnol au 47/2 dimanche dernier. Était-ce un soulagement pour lui de pouvoir rejouer et d'être en haut de l’affiche ?
Raúl Cuenca : « Oui, car les joueurs de billard et les sportifs ont besoin de compétition pour ressentir la pression et rechercher la meilleure performance en condition de stress. Le dernier jour de compétition a été important pour moi car j'ai retrouvé les bonnes sensations pour atteindre mon meilleur niveau. Je n'ai pas ressenti cela le premier jour de la compétition. Au début, je n’avais pas confiance, sans rythme en raison de cette longue période sans matchs. »
Kozoom a discuté avec le champion d'Espagne de sa vie à la maison avec sa femme et son fils, de son métier d'infirmier, de sa passion pour le billard et de son avenir. Le champion espagnol se livre dans une interview à cœur ouvert :
Passeport :
Nom et prénom : Raúl Cuenca Monrabal
Lieu de résidence : Sueca, Valence
Âge : 40 ans
Relation : Marié avec Lorena, fils Marc (7)
Taille : 1m72
Poids : 62 kgs
Club de billard : Club Billar Sueca
Profession : Infirmière à l'hôpital d'Elda, à 30 km d'Alicante
Hobbies : Course à pied, VTT, trekking en montagne en famille
Titres :
29 fois champion d'Espagne dans plusieurs disciplines
Champion d'Europe au 71/2
13 médailles internationales,
Médaille du Comité olympique espagnol
Médaille d'or de ma ville

Raùl Cuenca et Esteve Mata (finale 47/2)
Kozoom/FB : Quelle est l'importance du billard pour vous ? Et à quoi ressemble la vie d'un Espagnol, joueur de billard aux jeux de séries ?
Raúl Cuenca : Le billard est l'une des choses les plus importantes dans ma vie. C'est une partie de moi, de mon mode de vie. Je m'y entraîne et j'y joue depuis l'âge de 10 ans. Dans ma vie, je me suis toujours concentré sur le billard d'une manière totalement professionnelle même si malheureusement, je ne peux pas gagner ma vie avec ce sport.
Kozoom/FB : Pouvez-vous nous parler de votre enfance, comment et où vous avez grandi, votre éducation, vos écoles, vos projets d’avenir ?
Raúl Cuenca : Je suis né à Sueca, Valence en 1980, j'ai grandi comme tout autre enfant et j'ai étudié. J’ai suivi une formation de base à l'école publique "Escoles Carrasquer » puis je suis allé à l'institut Joan Fuster dans ma ville et j'ai ensuite terminé mes études universitaires en soins infirmiers. Quand j'étais petit, je pratiquais beaucoup de sports, en particulier le football, le tennis et le billard.
Kozooom/FB : Comment s'est déroulée votre vie, avez-vous pu réaliser vos objectifs ?
Raúl Cuenca : Ma vie est heureuse comme je l'avais prévu. J'ai une profession que j'aime, j'ai une famille qui m’aime, que j’aime et j'ai la chance de pouvoir me distinguer dans un sport qui est ma passion. On veut toujours poursuivre plus d’objectifs mais je suis heureux comme je suis.
Kozoom/FB : Le COVID-19 a-t-il changé votre vie, en privé et au billard ?
Raúl Cuenca : Bien sûr, le COVID-19 a changé notre vie à tous. En privé et surtout dans mon travail, c'était un grand défi pour nous. Il affecte la vie et la santé des gens et vous pouvez imaginer ce que cela signifie pour un infirmier qui travaille en hôpital. Nous nous battons en première ligne et parfois c'est plus dur que je n’aurais jamais pu imaginer. Je travaille à l'hôpital d'Elda, à 30 km d'Alicante, et je dois parcourir 116 km de Sueca à Elda chaque jour pour m’y rendre. Mon travail m’occupe 12 heures par jour à l'hôpital (de 8h00 à 20h00) et le lendemain, la nuit (de 20h00 à 8h00). Normalement, je travaille 3 à 4 jours par semaine suivi de 4 jours de congé. D'autre part, cette pandémie nous permet de passer beaucoup plus de temps à la maison avec la famille et de faire des activités de plein air ensemble comme des randonnées en montagne. Au billard, elle a totalement changé nos calendriers, elle a stoppé toutes activités, toutes compétitions et ce n'est pas bon pour nous mais il fallait éviter les risques inutiles.

Raùl Cuenca au travail à l'hôpital
Kozoom/FB : Quand on dit Raúl Cuenca et Esteve Mata au billard, on pense jeux de séries. Avez-vous déjà eu l'intention de passer au 3 Bandes ?
Raúl Cuenca : Oui, bien sûr, nous sommes plus connus pour nos résultats dans les disciplines classiques, mais nous jouons tous les deux dans toutes les disciplines y compris au 3 Bandes. Je joue toujours au 3 Bandes, depuis mes 13 ans quand j'ai commencé à participer à tous les tournois en Espagne et, bien sûr, je continue à travailler pour percer les secrets de cette discipline. L'année dernière, j'ai atteint la finale d'un des tournois nationaux et j'ai pris la 4e place du classement général.
Kozoom/FB : Quand on parle 3 Bandes en Espagne, on pense à Dani Sánchez, David Martinez, Javier Palazón ou d'autres joueurs de haut niveau. Où vous situez-vous au classement ? La fédération espagnole accorde-t-elle de l’attention aux joueurs de séries ?
Raúl Cuenca : Je suis maintenant à la 11ème place du classement 3 Bandes en Espagne. Ici, les jeux de séries connaissent des moments difficiles. Pas simple de trouver la motivation nécessaire pour continuer à nous entraîner et à voyager pour jouer. De nombreux facteurs font qu'il est compliqué de développer les jeux de séries. Par exemple, les prix sont peu élevés. Un champion espagnol aux jeux de séries peut gagner environ 300 ou 400 euros mais vous devez payer l'hôtel, le voyage, les frais d’inscription, les repas et vous absenter de votre domicile pendant quelques jours. Un autre gros problème que nous avons est celui des tapis que la fédération donne aux clubs pour organiser les tournois. Il y a quelques années, nous avons commencé à jouer avec des tapis qui nuisent à notre image et à nos performances. Nous essayons de changer cela en discutant avec la fédération pour améliorer cette situation. Mais après trois ans de discussions, nous n'avons pas réussi à les convaincre. Pour nous, c'est un gros problème de jouer en Espagne avec une marque de draps puis après le championnat d’Espagne de jouer sur Simonis aux championnats d’Europe. Il suffit de regarder les moyennes : Il y a 6 ou 7 ans, vous pouvez constater que le niveau était bien meilleur qu'aujourd'hui. Tout comme le nombre de joueurs qui se battaient pour le titre. Il était beaucoup plus important ces années-là. Je pense que les disciplines classiques en Espagne ont un avenir très sombre si nous continuons sur la même voie sans pouvoir faire quoi que ce soit pour le développer et essayer d'enseigner les jeux de séries à tous les jeunes joueurs. Cela me fait mal de le dire, mais c'est ce que je pense.
Kozoom/FB : A quel âge avez-vous commencé à jouer au billard ? Qui vous a inspiré ? Quels sont les meilleurs et les plus beaux moments de votre carrière ?
Raúl Cuenca : J'ai commencé à jouer à l'âge de 10 ans. Tout d'abord, j'ai commencé avec mes amis puis j'ai pris des leçons avec ma première idole, Marcos Carpio, un joueur local qui jouait en première division dans toutes les disciplines. Il m'a enseigné les concepts de base du billard et m'a transmis la passion du billard. Plus tard, Miquel Espona (entraîneur de la fédération espagnole) m'a enseigné les secrets de la haute compétition. Il a été plusieurs fois champion d'Espagne et aussi joueur international. Mais le joueur qui m'a fait atteindre le haut niveau est sans aucun doute Esteve Mata. Il m'a enseigné les principales choses pour comprendre l'essence du billard. Le meilleur moment de ma carrière est bien sûr l'année 2017 où j'ai remporté 5 tournois espagnols et 3 médailles européennes, notamment l'or au Cadre 71/2 à Brandebourg. C'était un rêve qui s'est réalisé après l'avoir attendu toute ma vie. J'ai gagné la finale contre mon ami Dave Christiani en une reprise. C'était beaucoup plus que ce que j'attendais, mais j'ai apprécié ce match et j'ai eu l'impression de voler au-dessus la table, indescriptible.

Champion d'Europe au 71/2 à Brandenburg en 2017
Kozoom/FB : Quelles sont les personnes importantes dans votre vie privée et dans votre vie sportive ?
Raúl Cuenca : Il y a des personnes spéciales dans ma vie. Bien sûr, ma mère et mon père qui m'ont soutenu dès le début, mon frère et ma soeur aussi. Mais c'est Lorena, ma femme, qui rend possible mes succès. Elle est mon soutien dans la vie et bien sûr au billard. Sans elle, rien ne serait possible. Et bien sûr, mon soutien numéro un, mon fils Marc qui a 7 ans aujourd'hui (17 décembre). Il est mon inspiration. Mon sponsor de billard Rufes, l'un des principaux distributeurs de billard en Espagne, et Inviktcues, la marque espagnole de queues fabriquées à la main par Esteve Mata sont également très importants dans ma vie sportive.
Kozoom/FB : Que signifie pour vous le fait de garder la forme : faire du VTT ? Quel est votre environnement, à quel point il est important pour vous, en tant que joueur de billard, d'être en parfaite forme ?
Raúl Cuenca : Pour moi, le sport c'est la vie. Je cours depuis de nombreuses années, cela contribue à ma bonne préparation physique pour être un meilleur au billard. Mais en fait, je m'entraîne avec mon vélo de montagne. Faire du vélo et profiter de mon environnement est quelque chose de spécial qui me permet d'être en bonne forme. Là où j'habite, vous pouvez choisir entre des routes de plaine ou des routes de montagne qui vont de 300 à 1000 mètres d'altitude. Et je préfère les montagnes. Je pense qu'une bonne forme physique est une priorité pour devenir un meilleur joueur de billard.
Kozoom/FB : Avez-vous passé beaucoup de temps avec Esteve Mata dans votre carrière et dans votre jeunesse ? A quelle distance vivez-vous l'un de l'autre ? Êtes-vous des amis très proches ?
Raúl Cuenca : Oui, beaucoup. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 1996 lors d'un tournoi espagnol junior. Et depuis cette date, nous sommes de très grands amis. Il vit dans une petite ville appelée Centelles, à 70 km de Barcelone et à 460 km de Sueca, ma ville d'origine (30 km au sud de Valence). Pour moi, il est comme un frère, nous sommes adversaires mais ce n'est pas une raison pour ne pas partager les concepts du billard et parler des secrets du jeu. Esteve est une personne spéciale dans ma vie, plus qu'un ami. Sans lui, je n'aurais probablement jamais atteint mon niveau actuel. Il est maintenant l'un de mes principaux sponsors avec ma queue Inviktcues. Esteve est le seul fabricant espagnol de queues de billard avec cette marque et il réalise un extraordinaire travail manuel qui commence à pénétrer le marché coréen.

Kozoom/FB : Que pensez-vous et quelle est votre opinion sur le billard mondial actuel ? Que pensez-vous des Espagnols très talentueux qui se rendent régulièrement en Corée pour faire carrière au PBA ?
Raúl Cuenca : Mon opinion sur le billard mondial est claire, je pense qu'il y a une grande région où le billard peut atteindre un statut professionnel. Bien sûr, je parle de l'Asie. Le Vietnam et la Corée sont deux grands marchés où l'industrie du billard pourrait être très forte dans quelques années. Le professionnalisme a besoin de grands investissements de la part des entreprises privées qui peuvent en tirer un retour sur investissement. Mettre de l'argent pour faire de l'argent, c'est ça le business. J'ai de bons amis qui jouent en PBA et je suis heureux pour eux. Je pense personnellement que c'est le meilleur choix pour devenir un vrai joueur de billard professionnel. Et plus encore dans cette situation de pandémie. Bien sûr, ces joueurs doivent se rendre plusieurs fois par an en Corée. C'est le pire moment de la fête mais c'est nécessaire si vous voulez être dans une structure professionnelle. En Europe, les principaux joueurs professionnels sont en tête du classement mondial mais je pense qu'il n'y a pas un grand marché qui permette la création d'une grande industrie du billard. J'espère vraiment que cela pourra changer à l'avenir.
Kozoom/FB : Vous avez maintenant 40 ans, vous êtes l'un des meilleurs joueurs européens aux jeux de séries. Comment voyez-vous votre avenir ?
Raúl Cuenca : Mes sentiments sur les jeux de séries ici en Espagne ne sont pas très positifs à moins que les politiques ne changent à l'avenir. De plus, ces disciplines sont en baisse dans le reste de l'Europe en nombre de nouveaux jeunes joueurs et le niveau général est en baisse. J'espère que les politiques des fédérations changeront cette tendance. Mon avenir dans le billard ? Je vais voir, il est parfois difficile de garder la motivation avec ce faible développement des jeux de séries. J'essaie de m'améliorer chaque saison, également au 3 Bandes. Et j'espère être plus fort au 3 Bandes pour, peut-être, me donner la possibilité de vivre de grandes expériences.
Merci beaucoup, Raúl pour l'interview, nous vous souhaitons tous bonne chance dans votre carrière de billard, continuez à bien travailler à l’hôpital…

